Les raisons de raconter sont nombreuses et les effets provoqués sont incalculables tant ils touchent, en dehors du plaisir du moment partagé, à autres choses qu'au conscient et qu'à l'immédiat.
Une chose est certaine : Le Conte aide l'Enfant à grandir... à devenir l'Homme de demain.
Bruno Bettelheim nous dit dans son ouvrage sur la psychanalyse des contes de fées :
"Je tiens à souligner qu'il faut se garder de les approcher, lorsqu'on les raconte, avec des intentions didactiques. (...)
(...)Si, en écoutant des contes de fées, l'enfant est capable de progresser, ce résultat n'a jamais été voulu consciemment par ceux qui, dans un lointain passé, ont inventé ces histoires ni par ceux qui, en les répétant, les ont transmises de générations en générations. (...)
(...)Raconter un conte de fées, exprimer toutes les images qu'il contient, c'est un peu semer des graines dans l'esprit de l'enfant.
Certaines commenceront tout de suite à faire leur travail dans le conscient ; d'autres stimuleront des processus dans l'inconscient.
D'autres encore vont rester longtemps en sommeil jusqu'à ce que l'esprit de l'enfant ait atteint un stade favorable à leur germination, et d'autres ne prendront jamais racine. "
"Les contes : pour rêver debout"
par Philippe Delaroche, rédacteur en chef adjoint du magazine "Lire"
in "Lire, décembre 2005 / janvier 2006"
"Malgré l'emprise de l'audivisuel, le conte parle toujours aux enfants, qu'ils l'entendent de la bouche d'un conteur ou qu'ils le suivent dans un livre. Son génie tient à une écriture dominée par des images et des contrastes qui ménagent chez l'enfant la distance, mais aussi la familiarité, avec ses peurs et ses plaisirs fondamentaux.
Le conte peut bien brasser l'ombre et la lumière, l'abandon et l'hospitalité, la promesse et la menace, la vie et la mort, il suggère la chambre d'écho qui permet à l'enfant, près de frémir ou de rire, de faire l'unité en soi-même et, ce qui est tout aussi précieux, d'éprouver le lien avec l'autre, enfant ou adulte.
A se représenter les scènes du conte, il s'ouvre une sphère, la sienne en propre, où nul autre ne pénétrera : l'intime. Le conte introduit à une féerie qui s'écrit, se répète, s'imite, et rassure à mesure que l'écriture et l'interprétation paraissent maîtrisables.
C'est un double vestibule, où se scellent le lien avec la parole et le lien avec l'écrit."
L'importance de la parole
Mettre des mots sur les choses. Utiliser la parole pour nommer, décrire et communiquer des événements, des émotions, des êtres et donner ainsi en pâture à l'enfant, le pouvoir et la puissance des mots.
Mettre un mot sur une peur, sur une angoisse sur une joie intense, c'est mieux la repérer et ainsi la "mettre à distance", distance nécessaire pour mieux voir arriver "le danger". C'est primitif, mais tellement naturel.
On peut reconnaître que la parole demeure un garde-fou contre le passage à l'acte de l'enfant.
L'expression verbale d'une émotion, d'un sentiment, peut bien souvent lui éviter l'agression physique de l'autre, objet de sa colère.
"Une des fonctions essentielles du conte est d'imposer une trêve au combat des hommes. "(Daniel Pennac)
La dimension d'apprentissage implicite de la langue ne peut pas être occultée même si ceci ne doit pas être le souci premier. L'enfant va être exposé à écouter et de ce fait à parler.
La construction de sa personnalité
Les contes sont un moyen de «s'autoréparer». Vers 6 ou 7 ans, une période de «latence» succède aux crises de la prime enfance : le bambin a intégré les interdits et devient plus silencieux. On se méprend sur le sens de cette sagesse qui ne signifie pas la disparition des angoisses. Avec le conte, on tire l'enfant de sa solitude. En mettant des mots sur ses peurs, en rejouant métaphoriquement le conflit intrapsychique qu'il traverse, les fables l'associent à d'autres qui ont connu ses inquiétudes et s'en sont tirés. Le conte mise aussi sur l'intelligence sensitive de l'enfant : on lui laisse entendre qu'on le croit capable de comprendre le message implicite et d'évoluer.
Entretien avec Sophie Carquain in "Lire junior" décembre 2005 / janvier 2006
Apprivoiser les peurs archaïques :
Ce chapitre est particulièrement important. Aussi, nous avons préféré nous étaler un peu et en parler sur une nouvelle page... alors
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L'importance de la transmission :
L'enfant doit sentir ou ressentir quand on lui propose un conte, qu'il s'inscrit dans l'histoire de l'Homme. Que certaines histoires ont besoin d'être véhiculées à travers les générations, bien au delà de lui, bien avant lui, et bien après.
Par ce biais, il peut aller vers la conscientisation du fait d'appartenir à une globalité, qu'il s'inscrit dans un processus : celui de l'histoire de l'Humanité.
A son tour, à sa manière, un jour, peut-être, il transmettra :
"Je crois avoir réussi mon racontage quand la petite fille m'a dit :
Laisse moi ta chaise, je vais te raconter une histoire ! "
(René Menguy - conteur)
L'enfant qui s'identifie aux personnages :
"...Tyskowa, citée dans Guérette (1991), déclare que l'enfant trouve ses aspirations exprimées et réalisées à travers les actes du héros, qu'il est en mesure de les réaliser, par transfert, en s'identifiant aux personnages du conte. Il arrive toutefois que le héros soit d'abord décrit comme un idiot, un faible, un pauvre, etc.
On peut alors s'étonner de la tendance qui pousse l'enfant à s'identifier quand même à lui.
Selon Bettelheim (1976), ce n'est que lorsqu'il se sent persuadé de la supériorité affirmée finalement par le héros que l'enfant peut se permettre de s'identifier à ce que celui-là est au début de l'histoire. Sur la base de cette identification, l'enfant est encouragé à penser que la mauvaise opinion qu'il a de lui-même est fausse.
En somme, en permettant à l'enfant de modifier de façon positive le jugement qu'il porte sur sa valeur en tant que personne, il apparaît que le conte favorise le développement de son estime de soi.
Tiré de
"L'album de contes et l'estime de soi chez les enfants" par Sylvie ROBERGEBLANCHET, conseillère en littérature d'enfance et de jeunesse.
"Les différentes mises à l'épreuve des héros" sur le site de la BNF. Séparation, appauvrissement, humiliations, tentation...
Le Conte objet social
Edith Montelle nous dit dans son ouvrage "Paroles Conteuses" :
"Le Conte est convivial. A l'écoute d'un conte, l'auditeur n'est pas seul pour affronter ces situations terribles : il est entouré de ses amis et il s'aperçoit qu'ils ont aussi peur que lui. Il sent donc que ses angoisses sont normales et qu'elles peuvent être maîtrisées."
Ainsi l'acte de conter tisse du lien entre ceux qui écoutent, d'une part parce que c'est de la mémoire collective faisant appel à l'Humanité dont s'agit ; et d'autre part parce qu'à côté de moi quelqu'un réagit comme moi à l'écoute de l'histoire qui se déroule.
Mettre le Monde en ordre
Le monde est chaotique pour l'enfant. Du moins c'est bien dans cet état qu'il le perçoit.
Les événements sont isolés, indépendants, non reliés entre eux. Parfois même "tout est en tout", comme un énorme magma primitif et fusionnel.
Ceci explique souvent les angoisses de l'enfant face à des faits qui nous paraissent anodins.
Le Conte et le conteur peuvent permettre à l'enfant de mettre son monde en ordre. De relier les choses, de les ranger, à une place, pour mieux les repérer, pour mieux les retrouver, pour mieux les aprivoiser et rendre le tout moins dangereux.
Le Conte dit à celui qui écoute : "Tu n'es pas seul. D'autres avant toi ou à côté de toi ont vécu ou vivent la même chose" Il sort l'enfant de son égocentrisme pour le planter dans un tissu social afin
"qu'il croisse grand et beau".
Les contes de fées et la conjoncture existentielle
Article sur la notion de Bien et de Mal dans les contes de fées. Identification de l'enfant.
Bruno Bettelheim y applique aux contes de fées la théorie oedipienne.
Développer une écoute active
Plaçant l'écoute au centre de l'acte de conter, il semble imposssible de ne pas développer chez l'enfant des qualités et de l'expérience sur ce plan.
Cela dit, pour qu'il apprenne à prendre le temps d'écouter celui qui a quelque chose à lui dire, il faut avoir quelque chose à lui dire...vraiment ; sans quoi il faut peut être s'attendre à ce qu'il se détourne avant qu'on ait le temps de finir ce qu'on croyait avoir commencé.
Le besoin de magie chez l'enfant
Comme l'a montré Piaget, la pensée de l'enfant reste animiste jusqu'à l'âge de la puberté.
Ses parents et ses maîtres lui disent que les choses ne peuvent ni ressentir ni agir; il a beau faire semblant de le croire, pour plaire aux adultes, ou pour ne pas être tourné en ridicule, il sait, tout au fond de lui-même, à quoi s'en tenir.
"Les enfants ont besoin de l'appui de la magie pour pouvoir affronter la vie", écrivait le psychiatre Bruno Bettelheim dans son livre "Pour être des parents acceptables".
Niée, voire combattue par les générations scientistes et hygiénistes des années 30-50, cette thèse fait aujourd’hui l’unanimité : pour grandir, l’enfant a constamment recours à l’imaginaire.
Pour en savoir plus :
Le besoin de magie chez l'enfant selon Bruno Bettelheim
D'autres liens sur le thème "pourquoi raconter aux enfants ? " :
L'importance de la tradition orale pour les enfants : cas des pays du Sahel.
Une conférence en août 1999 par Mbathio Sall - Bibliothèque lecture Développement - Dakar, Sénégal
Pourquoi raconter des contes de fées aux enfants ?
Sur le site "doctissimo", un petit survol de cette question.
Points de vue de Conteurs... et autres avis éclairants :
Fanny Dekkari - conteuse - Marseille
"Je racontais pour des petitouts de 1 à 3 ans. Ils étaient gentiment assis sur un joli tapis, les yeux grands ouverts et je faisais défiler des images sur mon kamishibaï en racontant une petite histoire.
Sur les images on voit un petit garçon qui va chercher des oeufs, mais ne sachant pas qui pond les oeufs, il se rend chez la vache, le mouton, le cheval et à chaque fois un peu malheureux, il dit "ho ! la ! la ! je ne trouve pas !!".
Tout à coup une petite fille me regarde d'un air rassurant et me dit :
- " Ne t'inquiète pas, il va les trouver les oeufs à la fin de l'histoire ! "
Chyc Polhit MAMFOUMBI - conteur Africain
"D’où je viens, au Gabon, le conte ce n’est pas de l’art, ce n’est même pas un métier, ni même une caste comme celle des griot en Afrique de l’Ouest.
Le conte, c’est le seul moyen que l’on a trouvé en absence d’écriture, pour passer une information d’une génération à l’autre. C’est un peu notre imprimerie Gutenberg à nous.
Très prosaïque n’est-ce pas ? "
( 10 déc 2011)