Gilles Bizouerne - conteur - région Parisienne
...j'aimerai intervenir sur le thème "Conte et musique" en
complément des 3 articles proposés, afin d'alimenter le débat, d'offrir un
autre regard. En effet, je travaille depuis quelques temps sur cette
question, voici donc, ci-dessous, mon point de vue.
Pour compléter les articles de Philipe, Marien et Claude, je voudrais
apporter quelques réflexions sur cette thématique. J'ai eu de nombreuses
occasions de vivre des moments de conte et musique, et en tant que conteur,
je poursuis mes recherches dans ce domaine.
Comme spectateur, j'ai éprouvé de grandes sensations dans certains
spectacles lorsqu'il y avait une fluidité entre la parole et la musique, un
mouvement entre ces deux langages, une énergie qui permettait au récit de
rayonner pleinement, d'être plus vivant.
Il y a au-delà des mots, une justesse musicale et profonde qui révèle un
sens et invite chacun d'entre-nous, à contacter ses propres sentiments, son
imaginaire.
"La parole est sons, timbres, intensités, ton, rythmes. La parole est
musique. La musique est parole." (Valéry Arzoumanoff)
Dans les contes, la musique peut avoir divers objectifs. Celui d'un bourdon
pour être une référence, soutenir la voix et permettre de se recentrer. Elle
joue aussi le rôle de respiration, au sein ou entre les histoires. Elle a la
capacité d'illustrer, d'ouvrir, de poser un univers, de renforcer le
conte...Ces moyens peuvent évoluer, se mélanger au fil des histoires et le
positionnement du musicien s'en trouve changé : accompagnateur, interprète,
créateur.
Ces chemins possibles sont à définir selon les désirs des artistes et leur
démarche.
Pour l'auditoire et les enfants en particulier, la musique dans les contes
est souvent source de découverte et d'émerveillement.
Je ne vais pas évoquer dans cet article les conteurs qui sont également
musicien et joue seul.
Par contre, dans ma pratique, j'ai découvert la difficulté pour les
musiciens d'être interprète au service de l'histoire. Lors de mes recherches
et expérimentations, la question du savoir-faire apparait rapidement. Il
n'est pas facile pour un artiste pratiquant son instrument depuis des années
de comprendre et d'accepter que parfois deux notes suffisent amplement au
récit. L'économie de moyen permet au vide d'apparaitre, de laisser la place
au silence et à l'imprévu.
Et, de même manière, il n'est pas aisé pour un conteur d'entendre
attentivement la texture sonore proposée, et de conduire ou suivre les
propositions, de laisser une juste place au musicien. Une alchimie se crée
lorsque les conditions sont rassemblées pour qu'une énergie circule et se
transforme.
Il y a aussi la question de la présence scénique, de son corps dans
l'espace. Le musicien se retrouve dans une relation souvent intime avec
l'auditoire et en "pleins projecteurs" (et non caché au sein d'un orchestre
ou d'un groupe). Alors, une prise de conscience de la présence de l'artiste
sur scène me parait nécessaire selon les intentions désirées et les
relations souhaitées entre les différents sujets : les artistes, le récit,
le public, le lieu. Il s'agit de trouver un équilibre, une harmonie sensible
entre ces paramètres.
En plus, selon les histoires, leurs origines, la langue utilisée et la
provenance des narrateurs, il y a de multiples manières de raconter.
Beaucoup de traditions orales sont directement liées à l'association du
conte, du chant, et de la musique : je pense au barde, au griots, à
certaines techniques étudiées lors de la récitation de texte épique comme
par exemple le Kalévala en Finlande, au Pansoori en Corée...
Pour poursuivre cette réflexion sur Conte et Musique, comme spectateur ou
artiste, on peut toujours se poser des questions simples :
Est-ce que la musique apporte quelque chose à l'histoire ?
Est-ce qu'elle suscite une qualité d'écoute et favorise la compréhension du conte ?
Est ce qu'elle dévoile des sensations/vibrations impossibles à dire ?
Est-ce que la parole, les motifs, les images du récit sont renforcés par
l'accompagnement musical ?
Comment se construit le partage, le tissage, l'émulation entre les sons de la voix et de l'instrument ? Y a t'il de la
place pour le silence, de l'espace pour le vide ?
Gilles Bizouerne (Avril 2007)
http://gillesbizouerne.com